Festival Présences 2018 : Olivier Messiaen – Chronochromie
Le Festival Présences 2018 a donné lieu a un événement assez particulier en ce vendredi 9 Février : l’interprétation par l’orchestre Philharmonique de Chronochromie d’Olivier Messiaen. En 1960, la création de Chronochromie suscita un scandale mémorable. Deux ans plus tard, lors de son interprétation au Théâtre des Champs-Elysées, un auditeur ira même jusqu’à agresser le compositeur en coulisses. Il s’agit de l’une des œuvres les plus exigeantes et radicales de Messiaen, et, comme il le dira lui-même, du « résultat de sa dernière résurrection ». Cette Chronochromie, ou couleur du temps, se rapproche aussi de la notion de paysage sonore : on y trouve la référence à de nombreux chants d’oiseaux issus du monde entier, ainsi qu’à des torrents montagneux des Alpes. Couleurs, temps, nature, paysages, on vous en dit plus sur ce monument de la musique du XXème siècle et son rapport à l’environnement qui nous entoure.
Le chant des oiseaux
Dans son préambule à la partition de Chronochromie, Messiaen écrit : « Le matériau sonore ou mélodique utilise des chants d’oiseaux de France, de Suède, du Japon, et du Mexique. […] On trouve aussi dans le matériau sonore des bruits de torrents de montagne, notés dans les Alpes françaises. »
Si les chants d’oiseaux ont inspiré plusieurs compositeurs, Messiaen est le seul à avoir suivi une formation d’ornithologue et à avoir noté ces chants de manière scientifique. Après la Deuxième Guerre mondiale, il insère des transcriptions de chants d’oiseaux de plus en plus précises dans ses œuvres. Il voyage en France et de par le monde afin de « récolter » ces chants, qu’il adapte légèrement afin qu’il soient exécutables sur les instruments occidentaux, dans notre échelle tempérée de douze sons. Dans les années 50, certaines œuvres sont presque exclusivement composées de chants d’oiseaux (par exemple Réveil des oiseaux, en 1953, Catalogue d’oiseaux, 1955-56, et Oiseaux exotiques, 1956). En 1977, lorsque Raymond Murray Schafer publie The Tuning of the World (Le Paysage sonore), il se situe dans la lignée de Messiaen, et veut ré-affirmer le lien que doit entretenir la musique avec le vivant : « les créations sonores de l’homme participent de cette activité supérieure qui s’appelle la vie – et doivent donc s’y inscrire. » Le monde est musical, et ce sont probablement les oiseaux qui ont été nos premiers maîtres en la matière.
La couleur du temps
Au delà de son goût pour l’ornithologie, Messiaen a également beaucoup parlé de son attrait pour le phénomène de la synesthésie, qui provoque une superposition des sens chez certaines personnes. Elle peut être de différente nature : là où quelqu’un associera des goûts aux mots, un autre associera des couleurs aux sons. Bien que Messiaen ne fût pas atteint de synesthésie, il a malgré tout utilisé ce phénomène de manière théorique pour parler de sa musique et pour traduire des complexes de couleurs en sons.
Chronochromie repose aussi sur une autre préoccupation que Messiaen avait à l’époque : la manipulation des durées musicales. De la même façon que les oiseaux chantent dans un présent toujours renouvelé, et que les montagnes s’ancrent dans la Terre de façon inamovible, le temps musical de Chronochromie existe dans un cadre plus que dans un flux. De ce fait, la répétition et la stase deviennent plus importantes que la progression ou le développement. C’est donc au sein de cette décomposition du temps, autant scientifique que synesthésique, qu’apparaissent des ensembles de couleurs, souvent par groupes d’instruments, pour évoquer des paysages naturels vierges et figés dans le temps.
La captation de Chronochromie
Dans Chronochromie, l’orchestre n’est entendu au complet que dans l’introduction et la Coda. Autrement, Messiaen isole de plus petits ensembles instrumentaux pour jouer telle ou telle partie. A ce titre, la sixième partie nommée Epôde, ne comporte que dix-huit cordes soli : six premiers violons, six seconds violons, quatre altos et deux violoncelles. On y entend des merles noirs, des fauvettes des jardins, des loriots, des chardonnerets, des pinsons, un pouillot véloce, un bruant jaune, une fauvette grisette, une fauvette babillarde, un verdier, un rossignol, et une linotte.
La difficulté pour les équipes de Radio France a donc été d’adapter l’enregistrement à la prédominance de ces sous-ensembles sur l’orchestre au complet. Les couples stéréo qui jouent traditionnellement le rôle de liant entre les différents micros d’appoint, ont ici été réduits au profit de la mise en avant des différents ensembles instrumentaux, de façon à rester au plus près des événements significatifs de la partition. Il reste que la captation d’une oeuvre de cette ampleur reste toujours un défi, à plus forte raison lorsqu’elle est diffusée en direct sur France Musique.
En somme, nous espérons que vous pourrez vous aussi apprécier le mélange des sons et des couleurs proposé par Messiaen dans son oeuvre, entendre des oiseaux des quatre coins du monde, séjourner dans un paysage alpin hors du temps, et peut être aussi mettre à l’épreuve votre sensibilité synesthésique. Bonne écoute !
par Jules Négrier
À lire :
- Olivier Messiaen, Une poétique du merveilleux, de Brigitte Massin
Interprétation :
Orchestre Philharmonique de Radio France sous la direction de Jonathan Stockhammer
Équipe Technique :
Directeur du son : Catherine Déréthé
Musicien metteur en onde : Raffi Kervokian
Opérateurs du son : Marie Lepeintre, Amandine Grevoz, Frédéric Changenet et Régis Nicolas
Montage Post-Production : Dimitri Scapolan