Steely Dan Tribute au Studio 105 de Radio France
Le concert de Steely Dan Tribute a eu lieu le 16 Décembre 2017 au studio 105 de la maison de la radio et a été enregistré en stéréo comme à l’accoutumée. Nous vous proposons quelque chose d’assez particulier ici, puisqu’il s’agit d’un nouveau mixage en son 3D de cinq titres de ce concert, réalisé par Pascal Besnard et Hervé Déjardin, tous deux ingénieurs du son à Radio France.
Steely Dan – Tribute
Peut-être ne connaissez-vous pas le groupe Steely Dan. Il a été fondé au début des années 1970 par Walter Becker et Donald Fagen, et a rencontré son premier grand succès commercial avec l’album Aja en 1977. Cette super-production, sur laquelle se retrouvent pas loin de 40 musiciens, est un album à rebours de son époque, en pleine ascension du punk et des revendications DIY et lo-fi. Un enregistrement d’une qualité remarquable, des titres parfois très longs pour un disque de pop, des invités issus du panthéon du jazz comme Wayne Shorter : Aja se veut à la croisée des chemins de plusieurs styles, rassemblant « ce qu’il y a de mieux » à tous les niveaux.
Walter Becker est décédé en 2017, l’année des 40 ans d’Aja et de la création du Steely Dan Tribute, groupe formé à l’initiative du guitariste et pédagogue Jean-Michel Kajdan pour impliquer les étudiants des classes de musique actuelle amplifiée, et de jazz et musique improvisée du CRR de paris et du PSPBB dans un projet à la croisée des genres, entre la chanson, la pop, et le jazz. Résultat : 16 musiciens sur scène et des invités de marque jouant des titres d’Aja, mais pas que, pour un concert de haute volée rendant hommage à la sophistication de l’écriture et des arrangements du groupe de Becker et Fagen.
Le mixage orienté objet
Cette technique de mixage se présente comme un nouveau paradigme pour les compositeurs, les ingénieurs du son, les diffuseurs, et les constructeurs d’équipement audio et vidéo. Le principe est de considérer chaque élément sonore comme un objet que l’on va pouvoir situer dans un espace à trois dimensions. Chaque objet est donc associé à des paramètres de position, de déplacement, de réverbération, etc. Le grand avantage de ce système est qu’il permet de rendre indépendantes les étapes de mixage et de restitution du son. Ainsi, un morceau réalisé en objet pourra être mixé sur un système 22.2 et être restitué en 5.1, stéréo, ou tout autre format, sans avoir à réaliser de mixage spécifique. De plus, les moteurs de rendus binauraux employés par ce genre de logiciels bénéficient des dernières avancées en la matière, et vous proposent une sensation d’immersion au casque très convaincante.
Steely Dan Tribute en 22.2
C’est Pascal Besnard qui a proposé à Jean-Michel Kajdan de réaliser un mixage objet du concert de Steely Dan Tribute. Ils avaient déjà travaillé ensemble sur le son 3D, en 2015, lorsque Pascal Besnard avait mixé un morceau du guitariste en son binaural. L’idée était d’aller un peu plus loin cette fois-ci, en utilisant le mixage objet pour réaliser une version 22.2 de cinq titres de ce concert. C’est donc à partir d’un enregistrement multipiste rigoureusement nettoyé de toutes diaphonies que Pascal Besnard a pu réaliser ce mixage avec l’aide d’Hervé Déjardin, ingénieur du son spécialisé dans le format objet. Pascal nous raconte cette collaboration : « N’ayant jamais mixé en objet, mais sachant travailler dans une station de travail en général, j’ai travaillé avec Hervé comme un co-pilote de rallye. Je donnais mes instructions à Hervé qui contrôlait les logiciels (ndr : Spat et Nuendo). D’une certaine façon, cela ressemblait beaucoup au rôle d’un M.M.O. (ndr : Musicien Metteur en Onde, les directeurs artistiques des captations de concerts à Radio France). »
De plus, pour ce concert, Pascal Besnard a fait quelque chose d’assez original par rapport à sa longue expérience du mixage multicanal : « Dans mes mixages multicanaux en 5.1 ou en 8.0, j’ai toujours eu l’habitude d’éclater les sources au maximum dans l’espace, quitte à ne pas reproduire une image de concert réaliste. L’intérêt pour moi était de tirer parti du champ sonore à 360° qu’offrent ces formats, même pour du jazz ou du rock. Le fait d’avoir accès au format 22.2 pour ce concert m’a permis de reconsidérer ma démarche, et j’ai tenté pour la première fois d’utiliser la précision du format pour essayer de reproduire une image frontale de l’orchestre, comme si l’on était à la place d’un spectateur idéalement placé lors du concert. Pour faire un mixage réaliste, j’ai pris l’ambiance de salle comme piste de référence. Ça ne se fait jamais d’habitude, on va toujours prendre la batterie comme référence pour ce genre de musique. Là je voulais donner une impression de naturel, et faire respirer l’orchestre. De plus, j’ai choisi d’adopter une technique de mixage plutôt américaine pour les instruments, en partant de la voix pour construire le reste du mix. »
Le format 22.2 nécessite, comme son nom l’indique, 24 enceintes pour être restitué. N’est-ce pas un peu trop pour le grand public ? Pascal nous explique : « Si j’ai choisi le 22.2, ce n’est pas parce que je m’attends à ce que les gens s’équipent de ce système du jour au lendemain. Le choix de ce format s’est révélé être le meilleur car la restitution binaurale qu’il permet est la plus précise que je connaisse. Le fait de pouvoir mixer en 3D sur trois niveaux de haut-parleurs permet un degré de subtilité ahurissant, impossible à obtenir sur des formats 2D. Le moteur de rendu binaural du Spat nous permet ensuite de proposer cette qualité à toute personne équipée d’un casque audio, et c’est pour cela qu’il s’agit d’une bonne solution. De plus, ce format m’a permis de créer un mixage réaliste et précis, sans effet « Disney » (ndr : démonstratifs), qui a une réelle valeur ajoutée par rapport à la stéréo. En l’écoutant comme ça, vous ne vous en rendrez peut-être pas compte, mais l’émotion du concert est beaucoup plus tangible. Enfin, l’autre avantage du 22.2 est qu’il s’adapte très bien aux formats 2D, en mixdown. Grâce à l’objet, la restitution en 8.0 ou 5.1 est très bonne et ne nécessite pas de nouveau mixage. Les gens équipés d’un home-cinéma pourront donc vivre une expérience très convaincante et percevoir les subtilités de ce travail. »
Nous pourrons conclure en précisant que ce genre de mixage est assez rare pour de la pop : cela est bien souvent réservé aux enregistrements d’orchestres classiques.
par Jules Négrier
À découvrir :
- La page de l’émission Tapage Nocturne dédiée à ce concert. Vous en apprendrez un peu plus sur le projet de Jean-Michel Kajdan.
- Le site du projet Orpheus, consortium sur l’audio orienté objet, où vous trouverez de nombreuses informations sur l’étendue des possibilités qu’offrent cette technique.
Les musiciens :
Tao Ehrlich, batterie
Marius Gérin, basse
Robin Martin guitare, guitare acoustique
David Huang, guitare
Fadi Darwiche Rhodes, clavier
Charles Heisse,r piano clavier
Sibylle Chalamon, voix et voix lead
Lynn Adib, voix
Klaar Frankenberg, voix
Audrey Thirot, voix
Hector Lena-Schroll, trompette
Roman Didier, trompette
Charles St Dizier, trombone
Pierre Carbonneaux saxophone, alto
Mathieu Bellon, saxophone ténor
Leo Guedy, sax baryton
Jean-Michel Kajdan, direction musicale et orchestrations
Avec la participation exceptionnelle de Klaus Blasquiz, voix lead, et de Pierre Bertrand, saxophone alto invité (Victoire du Jazz 2017)