Les chaînes ont-elles encore besoin d’un site web ?
En septembre 2010, Wired publiait cette couverture retentissante annonçant la fin du web. Le raisonnement était simple. La croissance d’Internet viendrait des nouveaux écrans, en particulier des smartphones, qui fonctionnent sur un modèle d’applications. Ces applications devraient supplanter la navigation sur des pages web. Ainsi, le bon vieux web était appelé à disparaître. Cqfd.
Cela n’est ne s’est pas passé ainsi. Oui, la croissance est énorme sur les smartphones. Oui, les applications sont très utilisées. Mais le raisonnement s’arrête là. D’une part, il y a une limite au nombre d’applications utilisées par chacun. D’autre part, les applications sont devenues elles-mêmes des portes d’entrée sur le web. Prenons l’exemple de Facebook : quand un mobinaute clique sur le lien d’un article, Facebook ouvre son propre navigateur pour afficher une page web. D’après Médiamétrie, chaque mobinaute a utilisé 11 applications et consulté 29 sites en mai 2016.
En 2016, une autre idée semble émerger : les médias n’auraient plus besoin de sites web, mieux vaudrait se concentrer sur la publication de leurs contenus directement (on dit : en natif) sur les plateformes du web. Reprenons l’exemple de Facebook : plutôt que publier un lien vers une vidéo sur son compte Facebook, il vaudrait mieux publier la vidéo nativement sur Facebook. Ainsi, le site web de NowThis ne sert qu’à renvoyer l’internaute vers Facebook, Snapchat, Twitter, Instagram, Vine, Tumblr, Youtube.
Quelle approche à Radio France ?
Nous avons pris un parti simple, et évident : celui de respecter les usages de nos auditeurs connectés. Ces usages sont variés. Par exemple : écouter nos chaînes en direct sur nos sites et applications et sur des agrégateurs de radios (TuneIn, RadioLine…) ; écouter nos émissions à la demande sur nos sites et en podcasts (notamment sur iTunes), capter des moments d’antenne en vidéo (sur Facebook, Youtube, Dailymotion, Snapchat), découvrir une information sur nos applications et réseaux sociaux (sur Facebook et Twitter), lire un article sur nos sites et applications, etc. Nous avons choisi de rendre nos contenus accessibles dans les meilleures conditions sur chacune de ces plateformes, pourvu qu’elles répondent à deux conditions fondamentales :
- qu’il y ait un usage suffisamment important sur la plateforme ;
- que nos droits y soient respectés.
Alors, faut-il un site web ?
Dès lors que nous avions décidé de disséminer nos contenus sur des plateformes tierces, la question se posait légitimement : avions-nous besoin d’entretenir et moderniser les sites web de nos chaînes de radio ? Et pourquoi ? Ne pouvions-nous pas nous contenter de diffuser nos contenus sur ces plateformes tierces ?
Les plateformes en question répondent parfaitement bien à des usages précis. Elles répondent mieux à ces usages que nos sites ne sauront jamais le faire. Facebook permet de développer un engagement, une interaction entre nos chaînes et les internautes, une conversation autour de nos contenus, et, au passage, la vidéo y est un format essentiel. iTunes est un excellent service pour retrouver nos émissions diffusées en podcasts. Twitter pour diffuser de l’information en temps réel et pour faire savoir en direct ce qu’il se passe sur nos antennes. Et ainsi de suite.
A l’inverse, ces plateformes ne répondent pas à l’ensemble des usages que nos contenus suscitent, elles ne suffisent pas à couvrir les besoins de nos auditeurs. Prenons trois exemples.
Trois cas d’usage de la radio en ligne
Premier exemple, l’écoute de la radio en direct. C’est l’usage ultra-dominant de nos sites (et applications). Précisément, nos sites répondent mieux quantitativement et qualitativement à cet usage que les agrégateurs. Quantitativement : la radio en direct est plus écoutée sur nos sites que sur n’importe lequel des agrégateurs. Qualitativement : sur nos sites, l’auditeur-internaute se retrouve dans un univers qui lui plaît, celui de la station qu’il affectionne. Les bénéfices y sont concrets : il y trouve des informations complémentaires sur les programmes à venir et sur le contenu des émissions en cours. Qu’on ne se méprenne pas : les agrégateurs sont efficaces, ils nous sont aussi très utiles. Ils permettent de toucher un public complémentaire, dont les attentes et les usages diffèrent de ceux de notre internaute.
Second exemple, l’écoute de la radio à la demande – souvent réduite au podcast. Pour des raisons de droits d’auteur et d’usage, nos podcasts restent disponibles au maximum 1 an en téléchargement sur iTunes (et autres outils de podcasts). Nos sites permettent d’offrir les mêmes émissions beaucoup plus longtemps, en streaming. Ils remplissent, pour nos auditeurs, une fonction de référence de nos émissions actuelles et passées, la mémoire de notre production. Qu’on regarde les récents nouveaux sites de France Culture (lancé en janvier 2016) ou de France Inter (juin 2016) : on y retrouve des émissions anciennes, et certaines ne sont d’ailleurs plus à l’antenne.
Troisième exemple, la lecture d’un article. Les technologies natives de Facebook (Instant Articles) et Google (AMP) semblent particulièrement convaincantes en termes d’expérience utilisateur, mais ne concernent aujourd’hui que les mobiles. De plus, la lecture d’articles ne peut, loin s’en faut, se réduire aux plateformes Facebook et Google. Disposer d’un site pour publier nos articles nous permet non seulement d’opérer en toute indépendance – ce critère est déterminant, notamment sur l’actualité – mais aussi d’éditorialiser nos articles suivant des critères très différents des algorithmes de Facebook et Google. Dans cet exemple non plus, il ne s’agit pas d’opposer des technologies ; elles sont complémentaires, parce que les usages le sont.
Il nous faut : sites web + plateformes
Ces 3 cas d’usage illustrent 3 aspects et notre réponse à la question : nous faut-il encore un site web ?
- Oui, car l’usage des auditeurs existe et y est soutenu ;
- Oui, car nous pouvons y déployer l’offre que nous voulons bâtir ;
- Oui, car nous avons besoin d’un espace d’indépendance totale.
D’autres motivations existent encore, parmi lesquelles : disposer en direct de données précises sur les usages ; fidéliser les internautes ; développer nos propres modèles d’interactivité auditeurs ; tester des formats nouveaux, ou même des technologies nouvelles ; monétiser nos offres numériques par de la publicité.
Les plateformes tierces sont de formidables moyens de toucher un public nouveau et de nous adresser à nos auditeurs fidèles à des moments différents de leur journée.
Nos sites web sont les lieux de référence de notre offre, les lieux que notre public privilégie pour nous écouter.
Nous ne savons bien servir les usages de notre public qu’en additionnant les deux.