Travailler autrement grâce aux méthodes agiles
Les méthodes agiles connaissent un succès croissant dans les entreprises aujourd’hui. Pourquoi ? Elles permettent une meilleure prise en compte des besoins des utilisateurs, une plus grande réactivité dans un monde en constante mutation et une plus grande responsabilisation des équipes en favorisant la motivation, l’autonomie, la créativité et l’amélioration continue. Petit tour d’horizon de quelques pratiques.
Les méthodes traditionnelles misent sur une normalisation des processus afin d’améliorer la productivité : chacun a un rôle et les processus régissent les interactions. Si ces méthodes fonctionnent pour l’organisation de tâches connues et répétitives, elles ne sont pas toujours adaptées à des métiers évolutifs et créatifs.
De l’humain avant tout
Les méthodes agiles misent, elles, sur les personnes et leurs interactions. À travers la mise en place d’équipes pluridisciplinaires, la confrontation des pratiques et des points de vue nourrit à la fois le produit et la recherche en commun de solutions.
Les équipes sont dédiées à un produit ou une ligne de produits. Elle sont co-localisées, responsabilisées et doivent inventer elles-mêmes leur mode de fonctionnement. Ce qui compte, c’est le résultat final.
Des objectifs clairs
Dans un projet, on se perd vite dans les détails et les problèmes d’organisation. Les méthodes agiles proposent d’afficher aux yeux de tous les objectifs macro du projet. Ceux-ci sont formulés de manière simple et compréhensible pour tous. La vision produit permet de définir le public visé, ses pratiques et ses attentes. Elle permet à l’équipe de prendre du recul et de ne pas perdre de vue l’essentiel de ce qu’elle cherche à développer.
L’exercice de la vision est bénéfique à tout projet, et plus largement à toute organisation : énoncer et afficher clairement la mission d’une équipe et pour qui elle travaille, permettra plus facilement d’arbitrer et de prioriser les sujets.
Un prototypage et un affinement par itérations
Le grand saut conceptuel de l’agile consiste à répondre d’abord aux principaux cas d’usages, à ceux qui apportent le plus de valeur et de lancer tout de suite la réalisation au lieu de passer du temps à spécifier dans les moindre détails les fonctionnalités du produit.
On reporte ainsi la réflexion sur les autres cas d’usage à plus tard en faisant la promesse de livrer à intervalle régulier des nouvelles fonctionnalités en vue d’améliorer le produit. Ce lâcher-prise nécessite une vraie confiance dans la capacité de l’équipe à pouvoir faire évoluer ce qui au départ n’est qu’un prototype vers un produit performant et stable.
Dans un projet informatique, vaincre la peur de construire sur du sable nécessite un certain niveau de maturité technique. Parmi les bonnes pratiques, citons l’automatisation des tests par des robots, l’intégration et le déploiement continu, la gestion des versions ainsi que la relecture du code par les pairs.
Mais est-ce une spécificité des projets informatiques ? Pour la rédaction d’un document de travail, on peut tout à fait commencer par un plan macro, puis détailler les points principaux dans chaque chapitre, et les faire relire par ses collègues à intervalle fixe et régulier. Cela permet d’avoir un document de travail à jour qui répond aux besoins des personnes à qui il s’adresse. C’est d’ailleurs la démarche adoptée par le mouvement Lean Publishing.
Une proximité avec le client
Être agile, c’est aussi penser d’abord aux besoins du client afin de trouver des moyens d’y répondre, et de valider à chaque étape (chaque itération) qu’on y répond de la bonne manière : en faire assez, mais pas trop afin de maximiser l’impact de ce qu’on produit.
Démarrer un projet agile, ce n’est pas penser de manière abstraite à ce que notre cible souhaiterait, mais la questionner de manière pragmatique afin de comprendre les difficultés qu’elle rencontre. C’est revenir vers elle un peu plus tard afin de de valider avec notre compréhension des difficultés rencontrées et d’appréhender si ce qu’on lui propose peut, in fine, lui simplifier la vie.
Pouvoir se planter vite si on doit se planter
Le diable se niche dans les détails… Il est toujours facile d’obtenir un accord de principe d’un groupe de personnes si la discussion reste à un certain niveau d’abstraction. C’est pourquoi l’agilité pousse à montrer des résultats tangibles au plus vite : on préférera toujours mettre entre les mains de l’utilisateur une maquette, plutôt que développer un modèle de données très complexe pour se rendre compte, quelques itérations plus tard, que le besoin final n’exigeait pas une réponse si élaborée. Itérer rapidement, c’est aussi accepter de faire fausse route, de tester des mauvaises idées : ce n’est pas grave si une fois sur cinq, une idée farfelue se trouve être excellente, et si les quatre autres fois, l’échec n’est pas coûteux.
Ne pas laisser filer le temps
Le temps est trop précieux pour être perdu en réunions inutiles ou en discussions stériles. L’agilité propose plusieurs stratégies afin de minimiser ce problème. Scrum, par exemple, propose le rôle de Scrum Master. La personne qui tient ce rôle a pour objectif de protéger l’équipe du bruit extérieur, et d’animer les réunions (aussi appelées rituels ou cérémonies) périodiques. Il s’assure que l’ordre du jour de ces réunions soit respecté, qu’elle démarrent et surtout finissent à l’heure, et modère les discussions : il a le pouvoir de couper la parole à quelqu’un s’il fait une digression, ou de mettre un terme à une discussion qui tourne en rond.
L’exemple le plus connu de l’agilité est le daily stand-up (mêlée quotidienne), la réunion qui se tient tous les matins debout, devant le tableau d’avancement des tâches : le Scrum Master s’assure que chacun des membres de l’équipe explique ce sur quoi il a travaillé la veille, ce qu’il va faire dans la journée, et s’il rencontre des problèmes ou est bloqué sur certains points. Ce point rapide ne dure pas plus d’une minute par personne. Si un sujet doit être abordé plus longuement, une réunion ad-hoc est planifiée.
Un autre concept intéressant pour ne pas laisser filer le temps : la timebox (ou boîte de temps). En début d’itération, l’équipe ne peut parfois pas s’engager sur la réalisation d’une fonctionnalité parce que le besoin n’est pas encore assez clair, ou parce qu’une technologie n’est pas encore maîtrisée.
L’équipe peut alors choisir d’explorer un sujet, sans garantie de résultat, pendant l’itération, mais dans un temps délimité (de quelques heures à quelques jours). Si à la fin de cette boîte de temps, le sujet n’est pas totalement circonscrit, l’équipe s’arrête et voit à la prochaine itération si elle prévoit une autre boîte de temps, ou si elle en sait suffisamment pour pouvoir s’engager.
Établir une relation de confiance par la transparence
Un projet, c’est d’abord une aventure humaine. Et l’humain n’est pas une machine. Tout d’abord, c’est un fait, personne ne parvient à estimer correctement le temps que prendra une tâche si elle n’a pas déjà été effectuée auparavant. Mieux vaut faire le deuil tout de suite des estimations en « hommes * jours ». Ou alors ne les prenons que pour ce qu’elles sont : des estimations, et pas plus.
Par ailleurs, les interactions humaines font qu’une équipe peut être, sans raison simple, plus ou moins efficace. La réponse de l’agilité à ceci est triple : afficher d’abord, puis analyser et tenter de s’améliorer.
On commence donc par afficher aux yeux de tous, sans honte, les réussites, échecs, prévisions, risques et blocages rencontrés. Ceci nécessite un énorme degré de confiance entre le management, les équipes et le client. Or la confiance ne se décrète pas, elle se construit. La première chose est de ne pas pénaliser une équipe qui rencontre des difficultés et l’affiche. La deuxième est de faire en sorte que l’équipe, ou l’organisation qui l’encadre, trouve les moyens de ne pas reproduire sans cesse les mêmes erreurs.
Prendre le temps de s’améliorer collectivement
Les méthodes agiles sont des méthodes cadrées, simples à appréhender avec une juste dose de formalisme (il ne faut pas plus de 15 minutes pour comprendre les grands principes Scrum). Elles laissent ainsi la porte ouverte à l’invention de nouvelles pratiques.
Un des tours de force de l’agilité, c’est de réserver, régulièrement, une « boîte de temps » (chez Radio France, une heure tous les quinze jours), pour que l’équipe réfléchisse aux moyens de s’améliorer dans ses pratiques, en accordant de l’attention aux aux personnes, à leurs envies et à leur degré de satisfaction.
En Scrum, c’est l’objectif de la rétrospective. Elle se déroule en quatre étapes :
- La récolte des données : pendant 5 à 10 minutes silencieuses, chaque membre de l’équipe note ce qu’il a apprécié pendant l’itération, ce qu’il n’a pas aimé, et ses idées d’amélioration.
- La mise en commun : chacun affiche au mur / tableau les points qu’il a consignés en les énonçant. Les autres écoutent et ne commentent pas.
- Le regroupement par thème et le vote : chaque membre de l’équipe vote (par exemple, avec des gommettes) sur les sujets qu’il veut aborder en priorité.
- La recherche d’idées pour s’améliorer : l’équipe discute des trois sujets qui ont récolté le plus de votes et se met d’accord sur des pistes d’amélioration à mettre en place à la prochaine itération.
La rétrospective est à mon sens l’un des premiers outils à mettre en place pour toute équipe qui cherche à sortir de son cadre habituel, à améliorer ses pratiques, et à faire de son espace de travail un lieu plus agréable.
Se laisser le temps d’essayer de nouvelles pratiques
Si l’agilité titre ses racines dans le développement logiciel, les pratiques sont transposables à d’autres métiers intellectuels :
- Regrouper dans un même lieu différentes personnes et compétences
- Échanger quotidiennement mais dans des cadres temporels fixés à l’avance
- Avancer petit à petit en validant les progrès au fur et à mesure
- Mettre l’usager au centre de ses préoccupations et le rencontrer régulièrement
- S’améliorer en tant qu’équipe…
Que du bon sens ! Mais le faire systématiquement et méthodiquement nécessite une vraie prise de conscience. L’important est de faire attention au plus important, qui rend notre travail si riche et imprévisible : les interactions sociales.
Prenez le temps d’essayer ces nouvelles pratiques pendant quelques semaines, modifiez celles qui ne sont pas parfaites, abandonnez celles qui ne vous apportent rien. Qui sait ? Peut-être certaines d’entre elles amélioreront votre quotidien.
Pour aller plus loin :
Pourquoi la méthode Agile est-elle un excellent choix pour la transformation numérique ?, Les Echos, juin 2017
Introduction aux méthodes agiles et Scrum, L’Agiliste, juin 2013
Par Geoffroy Montel et Laure Delmoly