DeLaurentis : une musicienne numérique à la croisée des couleurs 
19 juin 2025 par Sofiane Kolli

DeLaurentis : une musicienne numérique à la croisée des couleurs 

Depuis 1982, la Fête de la musique fait rythmer les cœurs de la France. Pour l’occasion, l’équipe d’Hyperradio vous propose une interview exclusive avec l’artiste DeLaurentis, dont la musique se retrouve au croisement entre art et numérique

“Il n’y a plus de notion de hiérarchie : chaque son a son importance”

C’est souvent ça qu’on recherche par la technologie, c’est les nouvelles sonorités qui vont nous amener vers de nouveaux styles, vers peut-être de nouvelles émotions”, nous explique DeLaurentis dans son processus de création musicale. L’artiste, qui a récemment dévoilé son dernier album Musicalism (2025), tente de démocratiser l’usage des technologies et du numérique dans la musique. Rigolant de l’anecdote sur l’ajout erroné mais gardé du voccodeur lors de la création du morceau Believe de Cher, elle ajoute donner une place à part entière aux accidents : “je recherche les accidents, je les attends en fait. Dès qu’il y a un accident numérique, un bug… (…) Dès qu’il y en avait un, je me disais c’est une nouvelle idée, j’ai envie d’aller voir ce qu’il se cache derrière.

DeLaurentis Presse B ©Dominique Gau

Sa méthode de travail est personnelle, éclectique. Elle travaille seule (ou presque), avec “des synthétiseurs, des vocodeurs, des mégaphones.” Et avec un but précis : transformer sa voix. Car la voix, pour Delaurentis, c’est l’extension de son corps. “[Elle] est au centre, c’est tout le temps, ça part de la voix, ça part d’un son de voix, ça part d’une mélodie, ça part d’une voix que je vais balancer dans un synthé ou que je vais ouvrir grâce au chœur virtuel de l’Ircam.” 

Ces nouvelles technologies entrent entièrement dans son modèle de création musicale. Longtemps relégué au second plan par rapport à l’image, le son n’est véritablement pris au sérieux que depuis quelques années. DeLaurentis s’empare ainsi de ces avancées majeures pour confectionner des musiques très orchestrées : “J’aime bien construire des morceaux comme ça, les penser comme un orchestre. Et c’est pour ça que j’ai adoré travailler avec Hervé [Déjardin, Responsable projet innovation audio, ingénieur du son à Radio France, ndlr.] en son spatialisé parce que jusqu’à présent, ça a toujours été très dur de mixer ma musique en stéréo parce qu’il fallait que je fasse des choix et que je retire des sons. Alors que là, tous les sons cohabitent et existent en temps réel. Il n’y a plus de notion de hiérarchie : chaque son a son importance. Tous ces sons-là vont exister dans l’espace et sans être redondants et sans être dans la surenchère. Tout existe comme dans un orchestre, comme un chef d’orchestre qui est au centre et qui va entendre tous les musiciens.” Entre la technologie du choeur virtuel développé par l’Ircam, le son spatialité avec L-Isa Studio de L-Acoustics, la diffusion Dolby Atmos sur Apple Music ou encore la création visuelle avec Modulo Pi et Sony CSL, les instruments numériques sont nombreux à prêter leur extensivité à DeLaurentis.

Et en tant que cheffe d’orchestre, DeLaurentis en a toute la gestuelle. Lorsqu’elle passe les deux mitaines noires du chœur virtuel de l’Ircarm, sa voix se démultiplie et elle en joue comme une baguette ferait taire les trombones et scintiller les violons. 

Sa vision, sa musique

Une enfance de musicienne, un père joueur de jazz, quelques années au conservatoire, mais avec un petit truc en plus : un “monde intérieur très visuel, où la musique m’évoque vraiment des couleurs, des formes, des personnages…” En un mot, la synesthésie. On le remarque facilement dans les titres de ses morceaux. Golden Kids, I’m Just a Rose, Supermassive Red… Chaque morceau représente une couleur, un univers. “Pour cet album [Musicalism], j’ai découvert le musicalisme, ce mouvement pictural des années 30, où les artistes faisaient des peintures très graphiques, reprennent des thèmes de musique classique pour les traduire en peinture. Et donc, je me suis dit, ça pourrait être le point de départ de l’album. Je vais mettre ça au centre de l’album.”

Une création visuelle partant du son qui lui est chère et que l’artiste a recréé grâce à une intelligence artificielle de Sony CSL : Sinvocea. A partir de rien, en ne prenant en compte que la voix de DeLaurentis, “son volume et sa hauteur”, des visuels sont générés en temps réel. “C’est comme si je dialoguais avec cet écran”, nous dit la chanteuse. L’expérience en live devient vibrante tant pour nos oreilles que pour notre vue. Notamment lorsqu’elle se joue en son immersif, comme lors de la France Music Week à la Maison de la Radio et de la Musique. Entouré d’une dizaine d’enceintes, le public ressentait chaque son passer au travers de son corps, comme enveloppé entièrement par la musique.

DeLaurentis Presse B ©Dominique Gau

DeLaurentis décide d’utiliser l’intelligence artificielle comme outil à part entière dans sa création musicale. Affirmée et assumée, elle rejette tout autant la mécompréhension autour de l’IA, notamment “des IA qui génèrent des musiques totalement mixées et avec carrément des voix et des textes.” Lorsqu’on sait que 18% des nouveaux ajouts sur Deezer sont entièrement façonnés par l’IA, cela fait froid dans le dos. Mais depuis 2018, soit bien avant leur démocratisation, DeLaurentis prend le contre-pied : “il y a une autre façon d’utiliser l’IA. C’est comme utiliser n’importe quel instrument où il faut faire ses gammes, il faut travailler, il faut y passer des journées entières jusqu’à obtenir quelque chose qui soit intéressant.

Un clip très spécial pour la Fête de la Musique

En plus des déambulations dans les rues animées, un nouveau clip de DeLaurentis sortira le 21 juin prochain : Bluebird on a Dune. Lui aussi réalisé à l’aide de l’intelligence artificielle. “En fait, j’ai fait une tournée au Maroc via l’Institut Français l’année dernière. J’étais partie avec un caméraman, on a fait plein d’images de live (…) et grâce à l’IA, on a intégré d’autres paysages et tout ça a été mixé pour ce clip-là.” Un battement de cœur rapide, une musique d’un soleil d’aurore. Et un clip à retrouver d’ici quelques jours…

Photo à la Une : DeLaurentis Presse B ©Dominique Gau