Réalité virtuelle : un Média qui peine à trouver son public
Les Laval Virtual Days à la Maison de la Radio – crédit : Gaël Hamayon
Renouveler l’expérience d’un contenu : c’est la promesse de la réalité virtuelle et de la vidéo 360. Une technologie qui parie sur l’immersion de l’utilisateur. Les professionnels de l’audiovisuel exploitent son potentiel média. L’événement « Laval Virtual Days » organisé à la Maison de la Radio le 2 février 2017 était l’occasion de présenter plusieurs projets éditoriaux innovants (VR et vidéo 360) et de confronter les points de vue.
- Préalable important : VR vs 360 vs AR
VR : Virtual Reality / réalité virtuelle : un objet vidéo qui recompose la réalité avec des technologies numériques.
360 : 360 degrés : une captation vidéo du monde réel à 360 degrés.
AR : Augmented Reality / réalité augmentée : une captation vidéo de la réalité, augmentée d’informations et de données contextuelles.
- De nouvelles opportunités créatives
La technologie VR permet de plonger dans un univers visuel reconstitué en 3D. L’immersion nécessite le port d’un casque vidéo et audio afin de se couper de toute réalité extérieure et d’évoluer dans un univers virtualisé où l’usager devient réalisateur du film. Les angles, les valeurs de plans, les mouvements de caméra ne lui sont plus imposés.
Si vous regardez une vidéo 360 sur un ordinateur, vous pouvez utiliser votre souris pour naviguer dans l’image.
Avec un mobile, l’expérience est encore plus poussée. L’écran devient une fenêtre sur le film, et c’est l’usager qui décide de la vue qu’il souhaite avoir. L’expérience ultime reste bien sûr le visionnage avec un casque de réalité virtuelle, type Google Cardboard ou Samsung Gear VR.
Depuis l’apparition du premier projet en réalité virtuelle fin 2014, le Centre National du Cinéma et de l’Image Animée (CNC) a investi 3 millions d’euros dans une soixantaine de projets artistiques. Les auteurs et producteurs de ces projets sont issus d’horizons professionnels divers : journalistes, producteurs de télévision, responsables de salle de cinéma. Ils parient sur son potentiel narratif et se positionnent sur le marché. Mais les attentes des utilisateurs ne sont pas encore claires car l’utilisation de cette technologie est encore marginale. Confrontation de divers points de vue lors d’une table-ronde organisée à l’occasion des Laval Virtual Days dans le Studio 104 de la Maison de la Radio :
La VR ouvre de nouvelles opportunités créatives. Les journalistes de télévision et producteurs de documentaires les plus chevronnés définissent de nouveaux fils narratifs liés au potentiel de ce média.
Le documentaire The Enemy est un pionnier en la matière. Cette oeuvre a été conçue par l’ancien correspondant de guerre et photojournaliste Karim Ben Khelifa et produit par Caméra Lucida et France Télévisions. Présenté lors des Laval Virtual Days, il est actuellement projeté à l’Institut du Monde Arabe. Ce dispositif est une reconstruction 3D d’un tournage documentaire sur le terrain. La VR permet de rompre avec le traitement journalistique traditionnel de la guerre à la télévision. A l’aide d’un casque de VR, le spectateur se retrouve entre les deux belligérants qui témoignent de leurs vies de combattants, de ce pourquoi ils sont en guerre. Il est présent physiquement dans le récit et se forge son propre point de vue. Le traitement traditionnel disparaît ainsi au profit du témoignage de guerre vécu de la manière la plus intime possible. L’usager se retrouve ainsi plongé au cœur de conflits au Moyen Orient, au Congo, au Salvador et en Corée.
Une application mobile en réalité augmentée permet aux utilisateurs de recréer ce face-à-face chez eux, dans leur propre environnement.
Fox Harrell, professeur associé au Massachussetts Institute of Technologies au sein du Computer Science and Artificial Intelligence Laboratory (ICE Lab) a contribué à personnaliser l’expérience de chaque participant. L’épilogue est ainsi déterminé à chaque fois selon des réponses préalables à un questionnaire sur le conflit et selon le comportement du participant durant l’expérience. Chaque visiteur vit donc une expérience unique, qui lui ressemble.
The Enemy a été visionné par les lycéens de Sarcelles lors de l’opération Interclass de France Inter. Les élèves, en immersion totale grâce au casque de VR, avaient l’impression d’aller chercher l’information à la source ce qui leur permettait de mieux la retenir.
Autre ambition éditoriale : le projet de Documentaire Our Baby, imaginé par Simon Bouisson, avec la Générale de Production, exploite la technologie VR à travers une proposition éditoriale extrêmement forte. Le documentaire raconte l’arrivée d’un nouveau né dans une famille et tous les bouleversements que cela peut engendrer du point de vue … du nouveau né. Le spectateur est à la fois l’élément déclencheur de la fiction et le centre permanent de l’attention. Le trailer donne un avant-goût de l’effet physique que peut provoquer la VR pour nourrir la dimension émotionnelle d’un sujet.
Qu’en est-il de la radio ? France Bleu est pilote des expérimentations de Radio France en matière de VR et 360. Et c’est l’antenne de Laval, France Bleu Mayenne, qui est à la pointe sur le sujet. Cette chaîne de Radio France est implantée en plein cœur du territoire French Tech dédié à la réalité virtuelle, profitant de la dynamique du Festival Laval Virtual.
L’équipe de France Bleu Mayenne a ainsi développé le prototype d’une application intitulée Chronique de Sainte Suzanne avec la société EON Reality.
Le principe : le présentateur de France Bleu Mayenne est guidé en temps réel dans son enquête par des auditeurs qui peuvent le suivre grâce à une vue immersive du lieu où il se trouve. L’interface, accessible depuis un smartphone ou un ordinateur, présente un parcours avec différentes « bubbles » (des « bulles ») permettant d’accéder chacune à une image 360 du lieu. Ces « bubbles » permettent à l’internaute de trouver des indices. L’utilisateur peut ainsi choisir d’appeler la radio pour passer en direct à l’antenne et aider le présentateur à progresser dans son enquête.
Un public difficile à conquérir
Malgré quelques projets innovants, la VR n’est pas encore parvenue à fidéliser l’audience. Le public essaye ce nouveau format par curiosité mais il n’y revient pas forcément. Pourquoi ? Certains ne trouvent pas l’expérience convaincante, ni plaisante. D’autres sont parfois victimes de phénomènes désagréables (claustrophobie, nausée, etc.)…
Autre sujet sensible, le prix. Si les cardboards permettent d’ imaginer ce que peut être une expérience VR pour moins de 5 euros, le prix d’un équipement complet pour ordinateur (terminal très puissant, casque, joystick et enceinte) n’est pas anecdotique. De nombreux poids lourds du secteur high-tech ont sorti leur propre casque de réalité virtuelle dans une fourchette de prix oscillant entre 50 et 950 euros.
Facebook : Oculus VR : 700 euros
Sony : Playstation VR : 400 euros
Samsung : Casque à cliper sur un Smartphone : 100 euros
Google : Cardboard à cliper sur un Smartphone : 20 euros
Orange : Casque VR à cliper sur un Smartphone : 50 euros.
Un engouement qui s’essouffle, même parmi les « Early adopters »
Parmi les professionnels, le regard sur cette technologie est de plus en plus critique. Même dans l’univers du jeux Vidéo où l’arrivée de la VR avait créé des émules, les utilisateurs ont tendance à revenir aux expériences ludiques traditionnelles.
Cinq ans après le rachat de l’Oculus Rift par Facebook, les chiffres de vente de celui-ci ne cessent de baisser : moins de 500 000 ventes sur un an. Le géant américain semble désormais davantage faire le choix de la réalité augmentée, avec le lancement de Facebook spaces.
Sur la plateforme Kickstarter, où l’Oculus Rift avait récolté 2,4 millions de dollars en 2012, les projets éditoriaux VR peinent à lever des fonds suffisants.
Pour les médias traditionnels, la transformation digitale s’accompagne d’une phase de frugalité économique qui peut parfois être un frein à l’innovation. La presse écrite, qui ne produisait pas ou peu d’image en est l’exemple.
Comme toute nouveauté numérique : la VR suscite forcément un engouement lors d’une première expérience. Mais elle ne parvient pas – aujourd’hui – à captiver le public qui lui préfère d’autres formes d’images immersives accessibles sans équipement spécifique : réalité augmentée ou vidéo 360.
La VR demain? Parions sur l’inventivité des créateurs de contenus et des fabricants de matériel. Ils seront – peut-être – capables de proposer des expériences qui séduiront toutes les audiences, à commencer par les plus jeunes, qui nous aideront à franchir le cap de l’adoption de ces nouveaux modes de récit, de jeu et de découverte.
A lire :
Laval, la réalité virtuelle à l’école primaire pour apprendre la sécurité routière, France Bleu, février 2017
Le Lab innovation de France Bleu Mayenne, France Bleu, février 2017.
Pourquoi la réalité virtuelle peine à décoller, Les Echos, juin 2017
A écouter :
Opération Interclass’, la guerre en réalité virtuelle, mars 2017, France Inter