Pierre Henry, un pionnier – Dracula par Le Balcon
Le Balcon s’aventure dans le répertoire de la musique acousmatique pour deux représentations consacrées à Pierre Henry et son Dracula, dans une libre adaptation du réalisateur informatique et musicale Augustin Muller et du compositeur Othman Louati.
Les 9 et 10 décembre 2017, Le Balcon a installé son orchestre d’enceintes à Radio France, le temps de deux concerts qui ont fait trembler les murs de la Maison de la Radio. L’Orchestre monte sur les épaules du géant de la musique électronique pour présenter Dracula, un spectacle total, où les instruments acoustiques côtoient le son des bandes magnétiques et où il faut parfois savoir laisser les musiciens disparaître pour écouter l’orchestre de haut-parleurs.
Pierre Henry, un pionnier
A la date où le compositeur aurait eu 90 ans, Radio France a rendu hommage à celui qui aura révolutionné la musique de notre temps.
Pierre Henry est né le 9 décembre 1927 à Paris. Il étudie la musique dès l’âge de sept ans. En 1944, guidé par Olivier Messiaen, il compose et pense à la musique du futur. Sa rencontre avec Pierre Schaeffer est déterminante pour sa création. Inventeur de procédés techniques de composition maintenant largement standardisés, il n’a cessé de donner à cette musique un souffle et une ambition qu’on ne lui soupçonnait pas au départ, en construisant un ensemble colossal et varié d’œuvres qui continuent de toucher tous les publics et toutes les générations. Il a aussi créé un « son » aussi personnel et reconnaissable que ceux des plus fameux musiciens de jazz, et imposé un univers d’une ampleur cosmique, un véritable monde où l’archaïque et le mythique côtoient le familier, et qui chante les émerveillements, les espoirs et les hantises de notre époque.
Le père de la musique électroacoustique est décédé le 5 juillet 2017.
Dracula, ou la musique troue le ciel
Dracula, fresque monumentale en 8 épisodes fusionnant extraits d’enregistrements de la Tétralogie de Wagner et musique électronique originale, est conçu comme un « film sans image » : une narration se joue à l’écoute d’un Wagner transfiguré par un drame sonore inouï. Dans la version originale, la fusion est donnée à la fois à travers le matériau musical et à travers le médium ; les éléments sont en effet diffusés à travers les mêmes haut-parleurs, et leur mode d’apparition est conditionné par le même geste de l’interprète à la console de diffusion.
L’orchestre Le Balcon proposeons de donner une version avec un ensemble instrumental et électronique, démultipliant ainsi les sources acoustiques et les protagonistes. Le Dracula n’est en quelque sorte pas composé à partir de Wagner, mais à partir d’enregistrements de Wagner : on a ici une identification directe du timbre et une double signature sonore ; on reconnaît bien sûr les instruments et le plus souvent le texte, à savoir les instruments et partition originaux, mais à travers un moyen lui aussi identifié, celui de l’enregistrement, dans de grandes salles, avec de grands orchestres. Images sonores immédiatement reconnaissables, chargées de l’aura des opéras et du répertoire dont elles sont extraites, ce sont le plus souvent des préludes ou passages orchestraux dont les portées sont musicales… mais aussi dramaturgiques et symboliques : le prélude ou l’installation d’un paysage, la préfiguration d’un récit, sont ici des moyens permettant un expressionnisme quasi cinématographique.
L’art du paysage
Les sons électroniques revêtent plusieurs natures et fonctions. Fondus, juxtaposés ou opposés à la matière orchestrale, ils entretiennent avec elle des rapports de plans, de fonction et de filtrage mouvants selon les épisodes et à l’intérieur de ces derniers. Le matériau orchestral a en outre été soumis à diverses opérations de montage, de transformation et transpositions, afin de construire des « paysages oniriques » et permettre l’apparition d’un « personnage-objet sonore ».
La sonorisation du répertoire fait partie de la démarche du Balcon depuis sa création, tant sur un répertoire de musique mixte conçu comme tel, que sur la sonorisation, de la mise en espace et de l’arrangement d’un répertoire acoustique préexistant à la technologie. C’est donc bien le rapport au matériau sonore, à la spatialité du son, à son mode de diffusion auquel nous nous sommes intéressés, mais jusqu’ici presque toujours en lien avec une performance et une diffusion acoustique. La première partie de notre travail a donc été de réaliser le chemin inverse : dé-sonoriser Dracula afin de lui redonner un geste instrumental, pour pouvoir l’interpréter et le représenter. Nous proposons en effet ici la présence visible de musiciens sur scène parmi une partie de l’orchestre de haut-parleurs, les interprètes, leurs instruments et les haut-parleurs occupant ensemble l’espace acoustique et visuel. Dans ce rapport complexe entre le « bruit » et sa « source », nous espérons pouvoir faire émerger le « personnage objet sonore » dont parle Pierre Henry, hybride et intérieur. Le Balcon
Plutôt qu’une transcription littérale avec les moyens d’un grand orchestre symphonique wagnérien, ou la réduction pour petits effectifs de cordes, insuffisante pour rendre à la fois compte de la trame symphonique et de la profusion sonore de Pierre Henry, Le Balcon s’est orienté au contraire vers un arrangement pour orchestre à vents, agrémenté d’un piano et d’une contrebasse. Le prolongement acoustique du Dracula se fait donc ici par le biais d’un ensemble clairement identifiable, l’orchestre d’harmonie, au regard de l’orchestre post-romantique utilisé dans l’enregistrement de l’œuvre originale. Une couche de timbres supplémentaire hétérogène. Il faut donc bien comprendre ici qu’il ne s’agit pas de réductions des sources wagnériennes originales, mais bien d’un arrangement du Dracula de Pierre Henry. En utilisant un effectif directement dérivé de Déserts de Varèse (dont Pierre Henry a assuré la diffusion de l’électronique à la création), Le Balcon souhaite dresser des ponts sonores entre les univers musicaux de Pierre Henry et Varèse et inscrire sa vision de Dracula dans une certaine pratique de la musique mixte.
Dracula (2002) – Libre adaptation pour orchestre sonorisé et orchestre de haut-parleurs d’Augustin Muller et Othman Louati
(création le 1er Juin 2017, Athénée Théâtre Louis-Jouvet, Paris)Le Balcon
Claire Luquiens et Charlotte Bletton flûtes
Alice Caubit et Ghislain Roffat clarinettes
Édouard Guittet et Alexandre Fauroux cors
Henri Deléger, Matthias Champon et Florian Varmenot trompettes
Adrian Salloum et Thibault Lepri percussions
Mathieu Adam, Maxime Delattre et Vincent Radix trombones
Emilien Courait et Maxime Morel tubas
Héloïse Dély contrebasse
Alain Muller piano
Maxime Pascal direction musicale
Florent Derex projection sonore
Pierre Favrez informatique musicale
Equipe Technique
Chef opérateur du son : Stéphane Desmons
Musicienne metteur en ondes : Alice Legros
Opérateur plateau et post-production : Régis Nicolas
Opérateur plateau : Sacha Trope
Sonorisateur : Jean-Benoît Têtu